• 1

    J’étais enfant. J’aimais les grands combats,
    Les Chevaliers et leur pesante armure,
    Et tous les preux qui tombèrent là-bas
    Pour racheter la Sainte Sépulture.

    L’Anglais Richard faisait battre mon coeur
    Et je l’aimais, quand après ses conquêtes
    Il revenait, et que son bras vainqueur
    Avait coupé tout un collier de têtes.

    D’une Beauté je prenais les couleurs,
    Une baguette était mon cimeterre ;
    Puis je partais à la guerre des fleurs
    Et des bourgeons dont je jonchais la terre.

    Je possédais au vent libre des cieux
    Un banc de mousse où s’élevait mon trône ;
    Je méprisais les rois ambitieux,
    Des rameaux verts j’avais fait ma couronne.

    J’étais heureux et ravi. Mais un jour
    Je vis venir une jeune compagne.
    J’offris mon coeur, mon royaume et ma cour,
    Et les châteaux que j’avais en Espagne.

    Elle s’assit sous les marronniers verts ;
    Or je crus voir, tant je la trouvais belle,
    Dans ses yeux bleus comme un autre univers,
    Et je restai tout songeur auprès d’elle.

    Pourquoi laisser mon rêve et ma gaieté
    En regardant cette fillette blonde ?
    Pourquoi Colomb fut-il si tourmenté
    Quand, dans la brume, il entrevit un monde.

    Guy de Maupassant, Des vers


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  • soleil2

    Imaginez le soir en robe de satin
    Et le ciel, sous un dais broché de perles pâles.
    Découpez dans vos rêves des bruits de pétales,
    Et colorez vos yeux d’un lourd parfum de marbre.

    Attachez-y la soie d’un voile byzantin
    Dont la Sainte, Sophie, aux langueurs médiévales,
    Fond la cire de paix sur un miroir de dalles,
    Et vous verrez l’Orient déguiser son destin.

    Bosphore et Corne d’or, la mer de Marmara,
    Etale son tapis de navires marchands
    Sur le toit des palais, d’un pas fragile et lent.

    Or, écoutez la voix des minarets béats,
    Où se froisse le souffle d’un soleil couchant,
    Sous l’enclume alanguie des fanions de sultans.

    Francis Etienne Sicard, Odalisques, 1995


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  • 22

    Nous sommes à Saint Nazaire
    Espérant le beau temps
    Nos cales sont bien légères
    Nous partons lestement

    Le ciel et la mer brillent
    Tout est d'or et d'argent
    Soupirez donc les filles
    Avec les jeunes gens


    Rendus en mer marine
    nous eumes tous le vent
    soufflant dessus la cuisine
    Et su'l'gaillard d'avant

    Le capitaine s'écrie
    "En haut, en haut les bailles !
    Allez ! Larguez donc les ris,
    Larguez les cacatois" !

    Si nous touchons les iles
    En quittant l'batiment
    Nous y carress'rons les filles
    Les filles de quinze ans.


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  • 14

    A Nantes à Nantes viennent d'arriver
    Vive les marins, beaux mariniers
    Trois beaux navires,
    Lon lire lirela
    Trois beaux navires chargés de blé.

    Trois dames s'en vont les visiter
    Vive les marins, beaux mariniers
    Marin combien
    Lon lire lirela
    Marin combien vends-tu ton blé ?

    Embarquez belles, vous le verrez
    Vive les marins, beaux mariniers
    Nous le vendons
    Lon lire lirela
    Nous le vendons très bon marché

    La plus jeune a le pied léger
    Vive les marins, beaux mariniers
    Dedans la barque
    Lon lire lirela
    Dedans la barque elle a sauté

    Le capitaine s'est écrié
    Vive les marins, beaux mariniers
    Larguez les focs
    Lon lire lirela
    Larguez les focs, les voiles d'étai

    La barque au large s'en est allée
    Vive les marins, beaux mariniers
    La belle s'est
    Lon lire lirela
    La belle s'est mise à pleurer

    J'entends ma mère m'appeler
    Vive les marins, beaux mariniers
    Et mes petits
    Lon lire lirela
    Et mes petits enfants pleurer

    Taisez-vous la belle vous mentez
    Vive les marins, beaux mariniers
    Jamais d'enfants
    Lon lire lirela
    Jamais d'enfants n'avez portés

    S'il plait à Dieu vous en aurez
    Vive les marins, beaux mariniers
    Ce s'ra un gars
    Lon lire lirela
    Ce s'ra un garçon marinier.


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  • 34

    C'est de ma prison que j't'écris
    Ma pauvre vieille branche
    Emprisonné comme une souris
    Je fais une sale tronche
    Matriculé comme un sergeot
    A l'encre de chine
    Je t'avoue que c'est pas rigolo
    Dans la marine

    L'autre jour rentrant de bordée
    La téte basse
    Le cap'taine d'arme à la coupée
    Nous r'garde en face
    Nous dit mes gars j'vais vous loger
    Vous n'êtes rien qui n'vaille
    Votre absence va se purger
    A la ferraille

    La ferraille c'est un instrument
    Pour les veinards
    il se compose tout simplement
    D'une longue barre
    Dans laquelle on glisse un maillon
    Où le pied s'maille
    Quand on est puni de prison
    Ou de ferraille

    C'est là pendant toute une journée
    Sans boire une goutte
    On maudit la joyeuse bordée
    Faisant d'l'étoupe
    Seule distraction autorisée
    Comme ripaille
    On finit par s'en rassasier
    A la ferraille

    Une fois par jour pour prendre l'air
    Sur l'pont on monte
    On reste seul face à la mer
    Avec sa honte
    Faut attendre qu'une heure soit piquée
    Pour qu'on s'en aille
    Directement s'appliquer
    A la ferraille

    Pour mériter ce châtiment
    N'allez pas croire
    Qu'on soit l'dernier des mécréants
    L'pire des soudards
    Moi qui n'suis pas mauvais garçon ni une canaille
    Pourtant j'ai fait cette chanson
    Dans la ferraille


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